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Les nouvelles règles de tri françaises sont-elles contraires au droit de l’Union européenne ?

Depuis leur entrée en vigueur, les nouvelles règles de tri françaises (issues de la loi AGEC n°2020-1051), font couler beaucoup d’encre. Les opérateurs, nationaux comme étrangers, font face à des difficultés dans la mise en œuvre pratique de ces nouvelles obligations. Cependant, jusqu’ici leur légalité n’avait pas encore été questionnée.

Dans un communiqué de presse en date du 15 février 20232, la Commission européenne demande à la France de se mettre en conformité avec le droit européen en matière de libre circulation des marchandises, par rapport à l’exigence d’apposer le logo Triman accompagné de consignes de tri (« Info-Tri ») des produits mis sur le marché français.

En effet, la Commission estime que les règles françaises d’étiquetage relatives à la gestion des produits générateurs de déchets, pourraient consister en une barrière à l’entrée du marché français et en une possible violation du principe de la libre circulation des marchandises (Articles 34-36 du TFUE).

Sans discuter du bien-fondé de ces mesures, qui semblent avoir vocation à être réglementées au niveau européen dans un futur proche, cet article a pour objectif d’aborder les difficultés juridiques soulevées dans leur application pratique sur un marché européen.

Tour d’horizon de l’obligation française

La question des règles de tri n’est pas (encore) harmonisée au niveau européen.

La France s’est donc positionnée en leader dès 2020 sur ces sujets notamment (i) en associant une pénalité en cas d’utilisation de symboles portant à confusion comme le Point Vert – pénalité aujourd’hui suspendue par le Conseil d’Etat et en attente de jugement au fond – et (ii) en imposant des règles de tri spécifiques au marché français : logo Triman + consignes de tri « Info-Tri » propres à chaque filière de la responsabilité élargie du producteur (REP).

Ainsi, pour synthétiser en quelques mots ces nouvelles obligations : les opérateurs mettant sur le marché français des produits générateurs de déchets (ce qui peut couvrir aussi bien le fabricant, l’importateur, le distributeur, etc.) doivent ajouter sur les produits en question le logo Triman accompagné du visuel de l’Info-Tri. Ces dernières ont été élaborées par les éco-organismes, puis validées par les autorités françaises, elles sont donc directement rattachées au principe de la REP puisque (i) chaque filière REP a ses propres consignes de tri (design compris), (ii) pour en bénéficier, il est nécessaire d’être adhérent à l’éco-organisme.

Cependant, deux difficultés d’ordre pratique peuvent être soulevées :

  1. Un produit peut être soumis à plusieurs filières REP, ce qui signifie qu’il faudra ajouter autant de consignes de tri que de filières (par exemple, un jouet contenant des piles et emballé est susceptible d’entrer dans trois filières REP : jouet, piles et accumulateurs et emballages ménagers).
  2. Les délais d’apposition sont relativement complexes car les consignes de tri n’ont pas été validées au même moment pour chaque filière REP, il y a donc une entrée en vigueur successive ; par ailleurs, des délais de transition ont été accordés aux opérateurs, mais de nouveau, les dates dépendent de chaque filière ce qui peut être problématique lorsqu’un produit se trouve dans deux filières REP dont les délais ne sont pas harmonisés.

Bien que le décret d’application3 relatif à l’information des consommateurs sur la règle de tri des déchets prévoit une clause de reconnaissance mutuelle, cette dernière semble peu applicable dans la pratique puisqu’elle suppose :

  • pour remplacer le Triman : que l’UE ou qu’un autre État membre, impose obligatoirement une signalétique encadrée réglementairement et informant le consommateur que les produits concernés font l’objet de règles de tri.
  • pour remplacer la consigne de tri « Info-Tri » : que l’UE ou qu’un autre État membre, impose obligatoirement une information de tri encadrée réglementairement et présentant les mêmes caractéristiques que l’Info-tri française.

Dès lors, les opérateurs français qui introduisent leurs produits sur le marché de l’UE, tout comme les opérateurs introduisant leurs produits en France, se retrouvent confrontés à la même difficulté : fabriquer des emballages distincts selon le pays de commercialisation ou cumuler les règles de tri spécifiques à chaque pays et augmenter la taille des emballages.

C’est dans ce cadre que la Commission Européenne a annoncé l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France.

Mise en demeure de la France par la Commission pour des règles de tri non conformes au droit européen

En tant que « gardienne des traités », la Commission européenne a la charge de veiller à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci, et surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

A cet effet, elle dispose d’outils tels que la procédure d’infraction à l’encontre des États membres, notamment lorsqu’elle considère qu’il existe un manquement aux obligations qui reviennent aux États membres en vertu des traités (Article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Cette procédure présente plusieurs étapes qui peuvent conduire à sanctionner un État membre.

Dans un premier temps, la Commission commence par mettre en demeure l’État membre concerné, lequel peut présenter ses observations et répondre à la demande d’informations qui lui est adressé dans un délai fixé par la Commission, ordinairement sous deux mois.

C’est dans ce cadre qu’aux termes de son communiqué de presse du 15 février 2023, la Commission a estimé que les exigences françaises en matière d’étiquetage concernant les consignes de tri des déchets pourraient ne pas être conformes au droit de l’Union.

En effet, en l’absence d’harmonisation à l’échelle européenne des règles relatives aux consignes de tri des déchets, les mesures nationales adoptées par les États membres ne doivent pas « créer de charge inutile pour les échanges commerciaux sur le marché intérieur ».

Comme évoqué précédemment, la mise en place du dispositif des nouvelles règles de tri françaises est la source de difficultés de mises en œuvre de la part des acteurs sur le marché, notamment étrangers, au vu des délais d’application et de contraintes opérationnelles (ré-étiquetage successifs en fonction des délais d’entrée en vigueur des consignes de tri afférentes aux différentes filières, manque de place sur les emballages, délais d’écoulement des stocks, règles différentes selon les pays dans lesquels sont vendus les produits…).

La Commission considère que les règles françaises comportent un risque d’entrave à la libre circulation des marchandises, ainsi qu’un potentiel effet sur l’environnement qui serait contraire à celui recherché. En effet, le respect des règles prévues pourrait générer davantage de déchets en raison de l’utilisation de matériaux supplémentaires nécessaires à l’étiquetage additionnel et de l’augmentation de la taille des emballages pour y faire figurer le logo Triman et les consignes de tri.

Ainsi selon la Commission, la France n’a pas « procédé à une analyse suffisante de la proportionnalité de [son] choix réglementaire, étant donné que d’autres options appropriées, moins restrictives pour les échanges commerciaux entre les États membres, sont disponibles ».

Est également dénoncée l’absence de notification prévue par la directive 2015/1535, en ce que la loi n’avait pas été notifiée à la Commission à l’état de projet préalablement à son adoption.

A ce sujet, on peut faire ici un rapide parallèle avec la question de l’interdiction du Point Vert. En effet, lorsque la France a adopté un texte visant à associer ce logo à une pénalité, de nombreux pays européens rendaient son utilisation obligatoire. Aujourd’hui, cette exigence règlementaire semble remise en question dans la plupart des pays. Par exemple en Espagne où le Point Vert était obligatoire, un projet de loi de 2021 prévoyait de l’interdire. Cependant, la notification du projet de texte par le gouvernement espagnol sur TRIS a conduit la Commission Européenne à émettre un avis circonstancié4 indiquant qu’une telle interdiction serait susceptible d’entraver la libre circulation des marchandises car (i) les autres états membres devraient se conformer aux obligations espagnoles ou (ii) obliger les producteurs à concevoir des emballages spéciaux ou à modifier l’emballage de leurs produits pour le marché espagnol. En France, la notification du projet de loi AGEC n’ayant pas été réalisée, on peut supposer que la question du Point Vert et celle des nouvelles règles de tri auraient, elles aussi, fait l’objet de commentaires de la Commission Européenne, d’autant plus que cette dernière a la volonté d’harmoniser ces questions prochainement (Proposition de règlement relatif aux emballages et aux déchets d’emballages5).

Concernant la procédure engagée contre la France, les autorités françaises ont désormais deux mois pour répondre, faute de quoi la Commission pourra adresser à la France un avis motivé.

A titre d’exemple, la Commission vient d’adresser un tel avis motivé à la France dans un tout autre contexte, au motif que cette dernière n’a pas pleinement mis en œuvre la législation de l’Union en matière de qualité de l’eau potable. La Commission avait dans un premier temps adressé une lettre de mise en demeure en octobre 2020. Toutefois, il nous semble ici que la question de l’étiquetage relatif aux règles de tri est moins complexe et que des délais plus courts devraient s’appliquer puisque la Commission souhaite éviter que chaque pays fasse cavalier seul et crée des obstacles au marché intérieur.

Les prochaines étapes de la procédure d’infraction

Aujourd’hui, nous en sommes donc à la première étape de la procédure d’infraction qui peut conduire à sanctionner un État membre.

Si, à la suite de la mise en demeure de l’État membre et au délai fixé pour les observations, la Commission Européenne n’est pas convaincue par la réponse de l’État membre et considère qu’il existe un manquement aux obligations qui incombent à ce dernier en vertu du droit de l’Union, elle peut alors lui adresser un avis motivé. Par cet avis, la Commission va demander à l’État concerné de se mettre en conformité, en informant la Commission des mesures prises à cet effet dans un délai défini, généralement équivalent à deux mois.

Si l’État membre ne remédie pas à la situation dans le délai déterminé, la Commission peut alors saisir la CJUE.

En cas d’arrêt de la Cour reconnaissant un manquement à l’une de ses obligations imposées par les traités, l’État en cause est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution dudit arrêt.

Néanmoins, si la Commission estime que l’État concerné n’a toujours pas mis en œuvre les mesures prévues par la décision de la Cour, elle peut de nouveau saisir la juridiction en indiquant le montant d’une sanction financière qu’elle estime adaptée aux circonstances.

Sur son site, la Commission indique néanmoins que dans 90% des cas, les États membres se plient à leurs obligations avant une éventuelle saisine de la Cour.

Pour mémoire, la Commission peut décider d’ouvrir une procédure d’infraction soit de son propre chef, soit à la suite d’une plainte. Ces dernières années, une plus grande proportion d’affaires sont ouvertes à la suite d’enquêtes menées par la Commission elle-même.

Aux termes de sa communication d’octobre 2022 « Faire appliquer le droit de l’Union afin de permettre à l’Europe de tenir ses engagement »6, la Commission a fait connaître son intention de recourir de manière stratégique et ciblée aux procédures d’infraction communautaire.

Il sera intéressant de suivre les prochaines étapes afin de voir si cette dernière fait pleinement application de ses pouvoirs relatifs à la procédure d’infraction prévue par les traités.

Par ailleurs, ce nouveau rebondissement concernant les règles de tri françaises ne suspend pas pour autant l’exécution des textes français, ce qui signifie que les opérateurs doivent poursuivre leur mise en conformité malgré l’absence de visibilité et l’insécurité juridique associée.

Sources

1) LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite AGEC

2) Procédure de la Commission Européenne INFR(2022)4028 du 15 février 2023 (Mise en demeure art. 258 du TFUE : Possible breach of Articles 34-36 TFEU in relation to packaging labelling rules)

3) Décret n° 2021-835 du 29 juin 2021 relatif à l’information des consommateurs sur la règle de tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur

4) Avis circonstancié de la CE sur le projet de loi espagnole 

5) Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relatif aux emballages et aux déchets d’emballages

6) Communication de 2022 intitulée «Faire appliquer le droit de l’Union afin de permettre à l’Europe de tenir ses engagements»

Articles : Article 17 TUE ; Article 258 TFUE ; Article 260 TFUE ; Article L.541-9-1 du code de l’environnement

en bref

Le dispositif français relatif aux règles de tri (Triman + Info-Tri) fait l’objet d’une procédure d’infraction européenne. Objet de critiques de la part des opérateurs, dans un contexte de réflexion au niveau UE pour un cadre harmonisé, il est reproché aux dispositions françaises de potentiellement entraver la libre circulation des marchandises. Dans l’attente des observations de la France, et des suites données à cette procédure par la Commission, les opérateurs doivent poursuivre leur mise en conformité avec les nouvelles règles de tri tant que celles-ci restent en vigueur.

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